Déjà chargé de l’industrie, Roland Lescure a récupéré le portefeuille de l’énergie et entend piloter la réindustrialisation verte.
April 9, 2024 6:30 am CET
DUNKERQUE — Dans le train qui l’emmène à Dunkerque dimanche 7 avril, Roland Lescure a déposé sa casquette rutilante de contrôleur des énergies renouvelables, enfilée vendredi dernier pour annoncer un pacte solaire, contre celle de Monsieur Industrie du gouvernement. Un couvre-chef qu’il a vissé sur son crâne lisse en juillet 2022, lors de son arrivée à Bercy comme ministre délégué chargé de l’Industrie.
Le rapprochement entre industrie et énergie date du dernier remaniement, en février dernier. C’est son idée, vante-t-il. Il a pondu en ce sens une note envoyée à Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence —“un proche”, dit-il — puis il l’a faite remonter jusqu’Emmanuel Macron.
“La décarbonation est une occasion en or de réindustrialiser le pays”, résume devant nous Roland Lescure, convaincu par la vision macroniste de “l’écologie à la Française”.
S’il a accru son territoire — l’obsession de chaque ministre — il ne s’est en revanche pas facilité la tâche. Être à son poste, c’est enchaîner, un même vendredi de fin février, un petit déjeuner avec Patrick Pouyané, le PDG de TotalEnergies, puis un autre avec l’ingénieur ennemi des énergies fossiles, Jean-Marc Jancovici. Il faut de l’appétit pour passer du croissant au décroissant.
C’est également opérer sous la tutelle de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, qui compte bien montrer qu’il agit en matière d’énergie.
Nucléaire et renouvelables, en même temps
Celui qui se veut le “maître d’œuvre de la révolution industrielle verte” a devant lui une belle pile de dossiers chauds : il y a bien sûr la relance du nucléaire mais aussi le sort de la filière photovoltaïque tricolore, jadis rayonnante et aujourd’hui submergée par la concurrence chinoise.
Le 28 février dernier, le ministre recevait les députés Ecologistes Julie Laernoes et Charles Fournier. L’élue de Loire-Atlantique en a profité pour l’alerter sur Systovi, cette entreprise moribonde proche de sa circonscription qui fabrique des panneaux photovoltaïques, et emploie près de 100 salariés.
“Il a laissé mourir Systovi, s’indigne Julie Laernoes. Quand on abandonne ceux qui ont un savoir-faire et des compétences, c’est qu’il n’y a pas de volonté. Lescure, c’est le ministre de l’Industrie et du nucléaire.” Comprenez : pas des énergies renouvelables.
Le ministre se défend pourtant d’avoir choisi un camp et assure vouloir mettre fin “à la guerre de religion entre le nucléaire et les ENR”. Mais en matière de solaire, il croit davantage aux grandes usines, aux gigafactories comme le fabricant de panneaux photovoltaïques Carbon à Fos-sur-Mer. Il promet toutefois : si un repreneur solide arrive au chevet de Systovi, il est prêt à s’investir, comme il l’a fait de nombreuses fois en tant que ministre de l’Industrie.
Autre sujet en haut de la pile : une loi dodue sur la souveraineté énergétique, laissée par sa prédécesseure, Agnès Pannier-Runacher. Le texte initialement prévu pour fin janvier fixait notamment les objectifs climatiques et énergétiques de la France, et réformait le marché de l’électricité. Le ministre s’est laissé le temps de la consultation avant de décider de l’avenir du texte.
Interrogé sur le sujet, de sa voix grave et posée, Roland Lescure esquive la question, tout en laissant deviner qu’il se passerait volontiers d’un texte de loi sur les objectifs climatiques. “[Cela] n’a de sens que si nous avons un débat instructif et apaisé”, argue-t-il. Il devrait s’exprimer sur le sort de cette loi — et les débouchés possibles — mercredi 10 avril.
Des sujets climat “éparpillés”
Deux mois après son arrivée comme ministre de l’Energie, Roland Lescure doit encore convaincre que ce nouveau découpage est le plus pertinent pour réussir la transition énergétique. Les associations, comme Réseau action climat (RAC), qui fédère plusieurs ONG environnementales, s’inquiètent de la séparation entre les questions de consommation d’énergie et les questions de production.
Anne Bringault, directrice des programmes de RAC, ajoute : “A Bercy, ils sont écolos quand ça permet de développer l’industrie française. Sur certains sujets, ça peut être bien mais quand il s’agit d’aller vers la sobriété, ils sont moins sur leur terrain habituel.” Un lobbyiste du solaire veut croire de son côté que ce regroupement permettra une action “plus fluide”, et se dit “assez optimiste”.
Au gouvernement aussi, les avis sont divers. Sollicité par POLITICO, un ancien collaborateur d’Agnès Pannier-Runacher au ministère de la Transition énergétique se dit “partagé” : “Une partie de la transition énergétique dépend des filières industrielles, mais cela témoigne aussi d’une ambition rétrécie, car on ne met plus l’accent sur la sobriété. Et notre ministère concentrait des dossiers essentiels aujourd’hui éparpillés.”
A l’hôtel de Roquelaure, un conseiller du ministre de Christophe Béchu assure que tout va bien : “L’énergie à Bercy, ce n’est pas un problème pour nous”. Il faut dire que l’actuel ministre de la Transition écologique a aussi profité du remaniement pour garnir son portefeuille notamment des questions d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques.
Mieux : les deux compères s’entendraient bien. Jeudi dernier, quand il s’est agi de représenter le gouvernement dans l’hémicycle sur le sujet des polluants éternels, Béchu a pourtant refilé la patate chaude à Lescure, qui n’avait rien demandé.
Dans l’ombre de Le Maire
Un temps, avant le dernier remaniement, le bruit circulait que Lescure, ce macroniste de la première heure, pourrait hériter de tout Bercy, si Le Maire était prié de faire ses bagages. Lescure aurait même été approché, avait révélé l’Express, pour Matignon. Mais aucun de ces scenarii n’a vu le jour. Le ministre délégué doit donc composer.
Surtout que Bruno Le Maire avait prévenu, avant même la nomination de son délégué : “Qu’on soit clair, je suis le ministre de l’Energie”, exposait-il à des parlementaires de la majorité fin janvier.
Roland Lescure n’avait pas, par exemple, prévu la présence de son ministre de tutelle pour l’annonce de son pacte solaire en faveur des panneaux photovoltaïques made in Europe, vendredi dernier. Il a donc fallu partager la lumière et s’aligner sur le calendrier du grand patron de Bercy.
Ce n’était pas la première fois. Quand Roland Lescure est allé le 4 mars à Bruxelles pour défendre la position de la France sur le nucléaire, là encore Bruno Le Maire assurait la conduite accompagnée. Réplique de Lescure : “Cela ne m’a pas empêché de dormir.”
Ni d’apporter sa touche. Depuis qu’il a pris son nouveau poste, les associations écologistes sont désormais invitées à Bercy. Le 16 février, deux jours après la Saint-Valentin, il reçoit le RAC et ses associations membres, le WWF, le Cler et la FNE. Même Greenpeace, pourtant réputée rétive aux agapes ministérielles, répond présent, tout en se limitant à une présence en visioconférence. Le désaccord sur le nucléaire est là, comme un éléphant au milieu de la pièce.
Un autre sujet braque aussi les associations écologistes : le projet de huit nouveaux forages en Gironde. “La France s’est fixée une date de sortie des énergies fossiles, alors pourquoi relancer des forages de pétrole à la Teste-de-Buch ? ”, résume Bastien Cuq du RAC, qui était présent ce jour-là.
Sur le sujet, Lescure se veut légaliste, et dit travailler dans le périmètre de la loi Hulot de 2017, qui autorise les nouveaux puits dans les concessions existantes. Mais il est constructif sur d’autres sujets. Il promet que ce rendez-vous n’est qu’un début et que les ONG peuvent lui faire remonter les projets d’ENR bloqués. Il aidera. “Une première prise de contact satisfaisante”, note Bastien Cuq.
De Pif Gadget à Picsou
Les proches du ministre le décrivent comme un Janus, cette divinité à deux têtes. Capable de parler à la fois aux écologistes et aux partisans du nucléaire. Aux communistes et au monde patronal. Sans doute le fruit de son parcours. En quelques décennies, le jeune homme aux parents communistes est passé de la lecture de Pif Gadget à la fréquentation du monde de Picsou. De l’hebdomadaire pour enfants proche des rouges à la citadelle de Bercy, dont il fut fonctionnaire avant d’être ministre.
“Au début des années 1990, j’étais le premier économiste de l’environnement à Bercy, j’ai travaillé sur l’écotaxe, le sommet de Rio, la tarification de l’eau”, souligne celui qui a ensuite travaillé dans la finance en France puis au Canada. Il a quitté son poste à la Caisse de dépôt et placement du Québec pour une candidature victorieuse aux législatives sous la bannière d’Emmanuel Macron.
Sa mère, Janette, était déléguée syndicale CGT à la RATP et le jeune Roland Lescure partait tous les étés dans les colonies de vacances réservées aux familles du personnel de la régie des transports parisiens.
Son père, François Lescure, était journaliste à L’Humanité et a bien connu le père de Fabien Roussel, actuel secrétaire national du PCF. Un temps, ce dernier a même travaillé à L’Huma avec François et voit aujourd’hui en Roland “un libéral pragmatique qui cherche des solutions”.
Membre des jeunesses communistes à 16 ans, habitué des Fêtes de l’Huma où il écoutait James Brown en dormant sur place, Roland Lescure est aujourd’hui un pilier de la macronie. Cette trajectoire en fait sourire certains.
“Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents des communistes mais il n’en n’a pas gardé grand-chose, s’amuse le député PCF Sébastien Jumel. Ça m’arrive souvent de le chambrer là-dessus et ça le fait marrer. On a des relations respectueuses et même cordiales.”
Mercredi, avec son acolyte communiste du Sénat, Fabien Gay, ils doivent aller prendre le café à Bercy. Jumel compte lui parler des “obstacles technocratiques” que rencontre le projet de double EPR à Penly, situé dans sa circonscription. Au moins sur la défense du nucléaire, ils pourront se retrouver. Sur le productivisme aussi.
“Né dans le productivisme rouge”, comme il le dit lui-même, Roland Lescure aimerait rendre possible un productivisme vert.